EN SUSPEND
Le rythme. Cette illusion de répétition inscrite dans une période temporelle. Il nous induit en mouvement, nous est transmis en sonorité ou parfois en cycle. Par sa distance et son espacement, il impose des phases, des séquences, des mutations. On le suit, on le vie, ou le déteste. Il est en nous, autour de nous et nous régit. Pensez aux saisons, aux ères du temps, aux cœurs, aux écrits, aux migrations même. Le rythme est partout. Le rythme est cadencé et en mesure. Selon les perceptions, il n’est descriptible à sa limite que par les sens de son témoin. Difficile d’en discuter, il y aura toujours divergence et convergence. À chacun d’y trouver son équilibre, de vibrer sur sa bonne note pour que le rythme soit en harmonie avec son style de vie. J’ai trouvé mon moment et mon endroit où mon rythme est en parfait accord avec mon esprit. C’est là où le temps semble s’arrêter. Où tout est EN SUSPEND.
« Le rythme n’est pas une mesure, c’est une vision du monde… » Octavio Paz
Sur l’eau. J’ai besoin d’être sur l’eau. Le plus éloignée possible de la berge, du bord, de la terre ferme. De me retrouvée au milieu de l’ouverture sur l’immense, de continuer de fixer au loin devant moi l’horizon tout en caressant l’illusion de m’en approcher. La perspective de ce point de vue m’est libératrice, elle transforme mon rythme cardiaque. Bien que celui-ci soit en désaccord avec la cadence que notre société tente d’imposer, les aléas de la vie commandent une rythmique qui m’est bien plus souvent qu’autrement désaccordée. Une fois sur ma planche, que ce soit au calme plat du soir tombant ou en contre-courant à la levée de forts vents, mon pouls se synchronise aux mouvements des flots. Mon sang est dirigé jusqu’à chaque extrémités en eurythmie. Ma respiration prends le tempo des vagues et de la houle. Couchée sur ma planche en fixant le ciel, mon abdomen se gonfle et se dégonfle en synchronisation avec les oscillations ondulatoires verticales de l’étendu d’eau sur lequel je me trouve. Combiné à l’odeur de l’eau, la musique du cris des oies des neiges et à la fraîcheur de l’air pur, tous mes sens sont comblés. Plus rien ne m’éprend, le temps est EN SUSPEND.
Je suis supportée, en légèreté et sans retenue. Plus rien n’est ferme ni rigide, à la seule exception du volume de ma planche qui m’accompagne. Tout est en mouvement. Exactement le contraire de sur la terre là où le sol sous mes pieds devient un enracinement immuable. Ici, chacun de mes mouvements génèrent une réplique et suppose un ajustement d’équilibre imposant une pleine conscience du moment présent. À ce moment précis, je me sens en vie. À cette pause de réflexions dans ma tête et de tentatives de prédire l’avenir, je me concentre naturellement sur ce rythme lent rempli d’arrêts subséquents. L’équilibre entre le temps et l’espace se stabilise tout en tanguant visiblement.
Sereine et inébranlable au beau milieu de mon étang j’apprécie le temps. Visitée par des milliers d’oies, au loin là-bas, le paradoxe est à son comble. Elles préparent une migration, nous quittent pour un temps plus clément pendant que mon exploration d’automne semble vouloir figer la saison à cet après-midi chaud d’un mois de novembre. Cesser le rythme chaotique d’une vie essoufflée et étouffante, sur le même plan que ces oiseaux migrateurs animés d’une cacophonie curieusement douce à l’oreille qui se meuvent dans une valse des plus spectaculaires jamais observée. Le calme et la douceur dans le mouvement et l’urgence… La glace qui pourrait prendre à tout moment à partir de maintenant. Moi sur l’eau, elles dans le vent, tout est si grand et enivrant quand le mouvement est EN SUSPEND.
Je me retourne vers la rive, obligations obligent un retour sporadique. Tout en ramant, je me rassure; j’y reviendrai. Comme toujours pour une nouvelle exploration. Je continue ainsi à vivre le rythme. Celui des périodes entre mes évasions sur l’eau. Je ramène un léger étourdi causé par les vagues jusqu’à mon lit ce soir, je ressentirai un peu la houle en me posant sur mon oreiller, question de me rappeler le moment de gratitude expérimenté en présence de cette beauté durant cet espace-temps. Mon retour sur terre est pénible cette fois-ci, le spectacle était plutôt fort. Une de ces sessions où tu souhaiterais que le temps prenne une toute autre dimension. Où la force du moment où t’étais en parfaite consonance avec les éléments et le temps demeure EN SUSPEND.
Par chance, j’étais accompagnée pour partager ce moment magique qui ne se produit probablement qu’une seule fois dans une vie, d’un ami à la curiosité insatiable et au sens de l’aventure incomparable. Muni de sa caméra, il a immortalisé l’incroyable et quasi-impossible à décrire épisode sur ce lac un samedi tranquille. Parce que la pertinence de vivre des moments forts est dans le plaisir de pouvoir les partager à travers le regard ébahi d’un complice, avec qui tu choisis de voyager devient considérable. J’avais bien considéré.
MJ Cyr - Fondatrice